Je ne pensais pas que manger des grenouilles pouvaient entraîner des conséquences internationales. Apparemment, c’est bien la raison pour laquelle les Anglais surnomment les Français frogs. Les Français n’épargnent pas la revanche, appelant leurs voisins d’outre-manche rosbifs, le très anglais bœuf rôti du dimanche.
Quoique je n’ai toujours pas compris le pourquoi de ces appellations peu gratifiantes, donner aux habitants d’un pays le nom d’un plat typique n’est pas une pratique si rare (par exemple krauts pour les Allemands et tête de goulash pour les Hongrois), tout comme les enfants qui se donnent des surnoms un peu bêtes les uns aux autres.
Cela dit, si manger des grenouilles semble bizarre pour beaucoup ou c’était accepté comme source de protéine dans le passé en temps de famine, les grenouilles sont pourtant considérées comme un délice en France aussi bien qu’en Chine.
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La France est connue pour ses cuisses de grenouilles même si cette réputation va assez loin pour devenir un cliché qui fatigue certains Français. Elles sont souvent cuisinées avec de la persillade et du beurre, ce que j’avais bien l’habitude de déguster dans mon bistrot de quartier (Mansae) , servies directement dans sa poêle de cuisson, proche du parc des Buttes Chaumont. Je ne vis plus là-bas, mais en écrivant ces lignes, mes pensées vont vers ce restaurant que j’ai alors préféré pour vérifier si les fameuses cuisses de grenouille sont encore à la carte. Quelle joie de les voir encore là !
Photo crédit Bei, cuisses de grenouille avec soupe de petits pois et chorizo chez Lilia Le Goût de la Passion à Amboise
J’ai beaucoup aimé ce plat, non seulement parce qu’il était délicieux, mais aussi parce qu’il m’évoquait l’enfance en Chine et la cuisine familiale. Un plat qui s’apprêtait à des occasions spéciales partage le même ingrédient principal – les grenouilles. Ma mère les cuisinait autrement, au style « hong shao », une technique de cuisson très similaire au braisage, ici appelé littéralement « braisage rouge ». Elle y ajoutait de la sauce de soja claire et foncée, de l’alcool de riz de Shaoxing, du sucre, du gingembre, de l’ail, et parfois elle lui donnait une saveur supplémentaire en l’accommodant avec des épices telles que l’anis étoilé et le piment séché de Chongqing. Les Chinois décrivent cette technique de couleur rouge, car une cuisson réussie doit donner au plat une teinte ambrée au reflet rouge. Ces grenouilles cuisinées par ma mère avaient une texture extraordinaire, de premier abord ferme et lisse en bouche, mais une fois mastiquées, c’était la tendresse qui fondait sur la langue. De plus, imbibées de l’umami du jus de cuisson, chaque bouchée était bien juteuse et savoureuse. Je ne devais certainement pas être la seule à apprécier ce plat. Victime de son succès, les espèces locales de grenouille étaient menacées et la chasse devenait interdite.
Aujourd’hui les grenouilles consommées sont d’une espèce la plus cultivée en Chine et issue d’une lignée nord-américaine, appelée ouaouaron (ou grenouille taurau), importées du Cuba dans les années 1960. Nous, les Chinois, ne regrettons pas cet échange contre notre canard laqué dont Fidel Castro était friand et nos expertises en riziculture. La production du pays peut fournir aujourd’hui 250 tonnes de consommation journalière à Shanghai, 200 tonnes à Chengdu et encore 200 tonnes à Chongqing, les trois villes qui mettent le plus de grenouilles dans les assiettes. En plus de ça, la Chine en exporte. Les restaurants prospèrent de tous les coins et développent des recettes diverses et variées pour travailler cette viande si populaire. Sautées au wok, frites, mijotées, grillées, en soupe et en fondue ; agrémentées de piment fermenté ou de piment frais et shiso, ou de poivre de Sichuan et ail… Les possibilités sont infinies… Alors seuls les Français sont froggies ?
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Cuisses de grenouilles au style de Sichuan
Un peu de saveur savante
Les grenouilles se mangent alors en France et en Chine. Mais ce n’est pas tout. En Asie du Sud-Ouest surtout au Vietnam, en Indonésie (qui est d’ailleurs le plus grand exportateur de cuisses de grenouille), chez nos voisins Européens comme la Suisse, le Portugal et quelques pays de l’Est, et même au sud des Etats-Unis, les grenouilles sont appréciées pour leurs chairs tendres et leur goût similaire au poulet.
Le fait qu’on chasse encore des grenouilles sauvages constitue une problématique environnementale. L’élevage du ouaouaron pourrait être une solution à condition qu’elles ne s’échappent pas dans la nature. Une espèce invasive, elle peut être une menace aux amphibiens locaux et à la faune.
Et un dessert léger ?
Les Anglais surnomment les Français froggies tout simplement parce que ces derniers en mangent. Ayant souvent une connotation d’insulte ou de moquerie, le surnom s’est retourné contre les Anglais après une découverte archéologique à un peu plus de 1.5 km de Stonehenge en 2013. Ce sont eux-mêmes qui ont commencé à apprécier des grenouilles bien avant les Français il y a plus de 8000 ans !
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