La baguette n’a nul besoin d’introduction. Elle a non seulement une place centrale dans la vie quotidienne en France, elle est aussi omniprésente dans toute œuvre de culture populaire en lien avec l’Hexagone.
Bien avant de venir en France, j’ai déjà entendu parler de la fameuse baguette. Ma tante, une dame de Shanghai qui accorde une grande importance aux bonnes manières à table, en fait une exception. Elle aime en croquer le bout tout en flânant dans les rues de Paris chaque fois qu’elle vient me rendre visite de Chine. Un couple d’amis, étant partis en expatriation en Asie, trouvent que c’est ce petit morceau de pain qui leur manque le plus. A peine déposé leurs valises à la maison, aller chercher une baguette à la boulangerie de quartier devient leur rituel de retour à Paris. Quant à moi, j’imagine vous aussi, je ne peux résister à l’odeur d’une baguette fraîchement (et chaudement !) sortie du four. Le croustillant de la belle croûte et le moelleux de la mie alvéolée possèdent de la magie pour remonter le moral !
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En revanche, le mantou est quasiment inconnu en dehors de Chine. Moi-même, je ne l’avais jamais vraiment apprécié, ayant grandi dans une région du pays où le riz constituait l’alimentation de base au lieu du blé. Avec du recul, je me rends compte que ce trésor caché était en fait incompris.
Tout d’abord, qu’est-ce c’est ? Vous connaissez peut-être le bao ou le bun, ou encore sous un autre nom - la brioche à la chinoise. Eh bien, un bao est un mantou farci. Le mantou est fait de farine de blé, d'eau et de levure ; sachant que la fabrication d’une baguette demande du sel en plus, simplement. La pâte de mantou est alors remplie de bulles de gaz dues à la fermentation grâce à la levure. Ce principe, découvert par les Egyptiens il y a cinq mille ans, est exactement le même employé par les boulangers français. Dans le nord de Chine où le blé est largement cultivé au lieu du riz dans le sud, le mantou est une pierre angulaire de l’alimentation au nord du fleuve Yangtze.
Alors une version à vapeur de la baguette française, le mantou est au petit-déjeuner, mais aussi au déjeuner ou dîner où il se sert pour saucer les plats. Il est aussi grignoté tout au long de la journée. Oui, comme grignotage. Tous ceux qui croquaient du chocolat ou du babybel avec un morceau de baguette au goûter de 4 heures dans leur enfance voient très bien ce que je veux dire.
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Malgré son histoire de deux millénaires, le mantou n’a pas une réputation aussi répandue que ses cousins le bao ou le rou jia mo. Le bao a été porté par la diaspora chinoise du sud dans leur menu de dim sum en Amérique et en Europe. Quant au rou jia mo, spécialité de la province du Shaanxi (au Nord), une sorte de burger fait de mantou aplati et de viande effilochée, a fait son entrée sur la scène gastronomique occidentale ces dernières années. Vous diriez que c’est peut-être parce que le mantou n’a pas de farce, donc pas de goût. J’aurais été d’accord si je n’avais pas goûté le vrai mantou, qui, comme une baguette, peut se manger tout seul.
Bun/bao servi avec de la sauce de soja, piment et des pickles.
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Rou jia mo, un streetfood par excellence fait son show en occident.
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Je me rappelle encore le jour où un mantou authentique de Shandong au levain naturel a bouleversé ma compréhension de cette pâte levée cuite vapeur. Sachez que dans cette province agricole, le mantou est non seulement LA nourriture de base mais se sert aussi de cadeaux à offrir lors des événements familiaux importants.
La dégustation était inoubliable. Marquée d’abord par une odeur agréable de blé, irrésistible comme une baguette encore tiède ; puis une texture filante comme une brioche gourmande en un peu plus dense mais en aucun cas lourde ; et enfin, une légère douceur émergeait à travers cette mie structurée et consistante.
Une sensation qui ressemble alors à mes premières bouchées de baguette, je ne m’y attendais pas. Après tout, ce ne sont que de la farine, de l’eau et de la levure. Si la qualité de la farine et le fait d’utiliser du levain naturel donnent davantage de goût au mantou, ces strates infinies sont typiques du mantou de Shandong. Alors que les strates dans la pâtisserie sont souvent obtenues à l’aide du gras, comme du beurre ou du saindoux, les maîtres de mantou ajoutent tout simplement de la farine sèche dans la pâte pour en créer des couches très fines. Un travail technique et physique appelé 呛面 (qiang mian). Depuis ce jour-là, j’ai enfin compris pourquoi le mantou attise le mal du pays de celles et ceux qui viennent de cette région.
Shandong qiang mian mantou, aussi appelé mantou mille-feuille
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Malheureusement il n’est pas facile de trouver des mantous de Shandong en dehors de cette province, probablement en raison de la grande technicité exigée. A l’opposé, les fervents du mantou de Shandong ne sont pas rares dans le reste de la Chine. Une fois à Pékin, j’ai vu les gens faire la queue et acheter par douzaine !
Le mantou, surtout celui de Shandong, est un héritage culturel et représente l'aboutissement de valeurs artisanales, comme une baguette traditionnelle. Aucune raison alors d'être intimidé. Pourquoi ne pas imaginer une compétition du meilleur mantou tout comme le concours de la meilleure baguette de Paris ?
Un peu de saveur savante
Ici une explication étymologique des mots bao/bun et mantou si ça vous paraît confus.
D’abord le caractère 包 (prononcé bao en mandarin) signifie envelopper. De la pâte qui enveloppe une farce (salée ou sucrée) est naturellement appelée bao ou bun, les deux transcriptions usuelles du caractère chinois en langues occidentales. Le mantou désigne donc de la pâte sans farce.
Cependant, la taxonomie culinaire n’en a pas toujours fait une distinction claire. Le mantou est souvent attribué à Zhuge Liang (181-234), avec farce à l’époque. Pendant la Dynastie Song (960-1279), marquée par une culture florissante dont les inventions culinaires, apparut le bao (les premières traces historiques du fameux xiaolong bao se retrouvent alors à Kaifeng dans la province du Henan). Les Song était également une période interceptée à plusieurs reprises par des guerres. Par temps difficiles, la farce a été retirée, le mantou ainsi devenu sans farce. D’après la littérature datant de l’époque, les deux termes mantou et bao s’utilisaient de façon interchangeable.
Plus tard, durant la Dynastie Qing (1636-1912), les territoires des deux mots devenaient plus distincts avec néanmoins quelques dissonances régionales. Dans le nord, le bao est farci à l’opposé du mantou alors que dans le sud, le mot mantou était encore utilisé pour désigner à la fois avec farce ou sans farce. Aujourd’hui, c’est la terminologie du nord qui prédomine, mais dans quelques dialectes du sud, le mantou reste une pâte farcie cuite vapeur.
Au Japon, lorsque les liens bouddhistes ont emmené le mantou de Chine aux alentours des 13ème et 14ème siècles, le mantou pouvait être farci ou sans farce. Le mot chinois, transcrit en japonais comme manju est alors le nom d’un gâteau sucré traditionnel avec une farce à base de pâte d’azuki (haricot rouge). Il est drôle de constater qu’un gâteau similaire chinois, aussi très apprécié, s’appelle “dou sha bao”.
Et un dessert léger ?
C’est bien connu que les français ont un rapport spécial avec les règles. Comment dire, on ne les prend pas autant au sérieux que les allemands et les suisses. Mais quand il s’agit de la cuisine et de la préservation d’héritage culturelle, une règle est une règle ; clairement un contraste avec les limitations de vitesse sur la route.
Plus particulièrement, en ce qui concerne la baguette, les règles sont sacrées. D’abord une auto-réglementation (car il n’existe pas de définition réglementaire) veut qu’une baguette ait un diamètre de 6 à 7 cm et une longueur de 55 à 65 cm. Une baguette dite tradition est même protégée par un décret gouvernemental depuis 1993. Ainsi sous les règles scrupuleusement suivies (elle doit être fabriquée sur place, ne pas avoir subi de congélation, ne contenir que de la farine, de l’eau, du sel et du levain ou de la levure…) “la baguette est enviée dans le monde entier”, a déclaré le Président Macron. Maintenant inscrite au patrimoine des biens immatériels de l’Unesco, la baguette est vraiment un symbole de l’Hexagone par excellence.
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