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La galette bretonne rencontre le jianbing au coin de la rue

La cuisine offre un spectacle délicieux. Enfant, j’étais bien chanceuse de pouvoir regarder un spectacle culinaire tous les matins.


Dans ma ville, le petit-déjeuner est un rituel éclectique. Les gens sortent et prennent un, deux, trois choses à manger voire plus parmi une infinité de possibilités. On appelle ce rituel 过早 – guo zao – qui veut dire passer le (temps du) matin. Les stands dans les années 80 étaient souvent situés au coin de la rue ou à l’entrée d’une allée. Certes rustiques et simples, ils permettaient un contact immersif aux clients. La caisse était la cuisine, la cuisine était là on pouvait trouver un coin pour manger. A fois chaotique et organisé. C’est ainsi que j’assistais à mon spectacle du matin, tout en attendant mon tour d’être servie. Le jianbing était un de mes numéros favoris.


Un vendeur est en train de cuisiner une crêpe / galette, la vapeur hisse de la surface de la crêpe.

Photo crédit Jason King on Unsplash


C’était un jour sur le chemin de l’école, un nouveau fourneau s’est installé. Il faisait un froid de canard, je pouvais alors voir la vapeur s’échapper de la foule qui entourait la scène. Le cuisinier avait un accent du nord (j’ai compris plus tard qu’il venait de Tianjin). En face de lui, une grande poêle ronde sans bord. Il faisait alors couler une louche de pâte par-dessus la poêle qui se mettait à grésiller tout de suite. Aussitôt que la pâte se cuise, à l’aide d’un répartiteur en T comme s’il faisait un cercle avec un compas, une fine crêpe (appelée jianbing) parfaitement ronde s’est alors formée, en un tour de main.


Fascinée, un peu hypnotisée sans exagérer, je le regardais faire un après un autre, toujours la même louche de pâte, toujours le même disque très fin et intact, toujours la même précision agile. Mais ce n’est pas tout. Après qu’un jianbing soit réalisé, alors qu’il restait sur la poêle, au chaud, il cassait deux œufs par-dessus, mélangeait grossièrement le blanc et le jaune, et voilà un joli tableau abstrait de couleur claire ! Il retournait le tableau, étalait des crackers rectangulaires (appelés guozi), passait une couche de sauce, pliait plusieurs fois l’ensemble de sorte que le tableau abstrait reste à l’extérieur. Ça, c’était le premier spectacle de jianbing qui s’est bien gravé dans ma mémoire.


Mille-feuille jianbing, du souple, du croustillant, du concombre tranché, du canard laqué, tout intercalé.

Photo crédit Bei, Jianbing from Beijing Crepes in Hong Kong


Ce qui s’est passé par la suite était bien plaisant comme prévu lorsque c’était à mon tour de le déguster. Chaque bouchée était un « mille-feuille » de jianbing et de cracker – des couches souples et croustillantes intercalées les unes sur les autres. Le goût de noisette des haricots mungo (dont la farine est l’ingrédient principal de la pâte après l’eau) s’entremêlait avec une pointe de piquant de la sauce que j’ai choisie. Quelle réconfort chaleureux et amusant pour un matin aussi glaçant avant de commencer l’école !


Video crédit Bei, Jianbing de Beijing Crepes à Hong Kong


Plusieurs années plus tard, mes parents m’ont rejointe de Chine pour un séjour en Bretagne. Alors qu’il est souvent difficile de trouver des saveurs qui conviennent au goût chinois dans des pays occidentaux, dans cette partie de la France, les galettes apparaissaient comme une solution toute naturelle. Faites de farine de sarrasin donnant un goût légèrement terreux, elles ont également une présence de noisette qui fait écho à la farine de haricot mungo dans le jianbing.

Pour réaliser une galette bretonne, le cuisinier applique des gestes très similaires que pour faire un jianbing. A l’aide d’un répartiteur en T (rozell en breton), il applique de la pâte de sarrasin sur une crêpière (billig) et en un tour de main, il dessine un disque rond et fin. Puis il la garnit des œufs, du jambon et du gruyère pour une galette complète. Les bords sont pliés vers l’intérieur pour former un carré ou un triangle laissant la garniture au milieu.


Une galette est en train d'être cuisinée. Sur la galette à farine de sarrasin, un oeuf à plat, une tranche de jambon et du gruyère parsemé par dessus.

Photo crédit by Jérôme Decq on Flickr ACC


Les versions plus modernes de galette bretonne accueillent toutes sortes de bonnes choses dans son giron, des andouilles locales à la tartiflette alpine. Le répertoire ne fait que s’agrandir. Une telle flexibilité de combiner des ingrédients divers et variés sous un même nom – la galette – présente un esprit presque asiatique dans le sens où tout peut être un sauté au wok alors que la cuisine française est davantage codifiée avec un plat une recette. De plus, contrairement à des plats servis qu'à l'heure du déjeuner ou du dîner, la galette se mange tout au long de la journée à de nombreux endroits en Bretagne. A la fois un plat et un encas, cette convivialité et cette facilité à manger la rapproche du jianbing, comme une rencontre au coin de la rue, là où les gens viennent apprécier le spectacle mais aussi l’assiette.

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