Vivre en banlieue parisienne peut aussi être synonyme de mener une vie goûteuse, surtout si on y découvre des saveurs et (re)découvre des saveurs, comme cette note de douceur acidulée de l’enfance, mi- bonbon, mi-fruit.
Quitter Paris intramuros – admiré par le monde entier – et vivre dans ses banlieues où plane un cliché de platitude était une décision longtemps réfléchie. Comme les Parisiens, nous pensions qu’il y avait Paris où tout se passait et ses banlieues que personne ne savait où c’était. Nous voyions à peine où se trouvaient les 92, 93 et 94, sans même parler des 77, 78, 91 et 95 ! Ah Paris c’est Paris. En plus de ses monuments historiques et du pavé charmant, c’est aussi « une fête ». Bruncher dans un des restaurants les plus branchés avant d’aller voir une exposition et finir sur une note sucrée en testant la dernière création d’un chef pâtissier de renom… le seul bémol est l’embarras du choix.
Maintenant en « banlieue », contrairement à l’appréhension de départ, en plus d’une vie sociale quasiment inchangée (Paris n’est pas au bout du monde !), nous avons l’occasion de côtoyer un grand chef pâtissier – Nicolas Bernardé – décoré d’un col bleu-blanc-rouge.
Chez lui, on trouve les meilleurs Paris-Brest et mille-feuille. On y va également pour chercher une boîte de chocolat ou ses créations du weekend. Il est difficile de ne pas succomber à l’appel du beau et du bon. Une exception néanmoins, les pâtes de fruit.
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J’aime le sucré mais même enfant, je n’étais pas fan de bonbons. J’aime les fruits mais je les aime presque seulement frais et nature. Le principe de cuire des fruits avec du sucre et en faire une version plus pâteuse que la confiture n’était pas ma tasse de thé. J’avoue que leur couleur translucide était plutôt appétissant, mais leur aspect bonbon n’était pas quelque chose dont je brûlerais d’envie.
Autant pour dire que seul le rayon des pâtes de fruit de cette pâtisserie me restait inconnu jusqu’à un jour, le chef m’a donné un carré en rouge framboise. Nous l’avions rencontré plusieurs fois dans sa boutique où il descendait de son atelier situé aux étages supérieurs. Très abordable et fort sympathique, il parlait toujours chaleureusement à tout le monde et offrait à chacun d’entre nous un chocolat ou un caramel, que l’on acceptait bien sûr volontiers. Mais ce jour-là, c’était une pâte de fruit ! Ayant pas mal de réserve sur les fruits dénaturés en bonbon, je commençais à me sentir embarrassée devant ce chef pâtissier de haut respect. De plus, il se souvenait de moi comme madame myrtille – depuis que nous avions échangé sur ce fruit une fois. Qu’allais-je alors faire avec cette pièce non désirée ? C’était la seule chose qui occupait mon cerveau lorsqu’on se parlait avec le chef. J’avais encore cette pièce de pâte de framboise, tenue dans ma paume de main inclinée vers le haut, comme s’il n’y avait pas de meilleure façon aussi visible pour dire que je tardais à la déguster car vous m’avez donné quelque chose que je n’aimais pas… l’embarras s’enflait si vite que j’ai rapidement décidé de l’engouffrer en pensant que ça ne ferait pas de mal après tout.
Et à ma grande surprise, ce n’était pas mauvais, en fait, la pâte était plutôt goûteuse. Le sucré n’était pas dominant, et l’enrobage aux fins cristaux de sucre – comme le voulait la tradition – était ôté à la suite d’une décision audacieuse du chef. Cette bouchée de bonbon gélifié fondait sur la langue. Le goût de framboise restait intact, sans céder un moindre terrain aux manipulations qui ont conduit ces baies délicates jusqu’ici. Cet équilibre parfait entre le sucré et l’acidité est alors devenu un amuse-bouche, bien inattendu, pour explorer le monde coloré de petits cubes fruités.
Depuis cette expérience de dégustation « forcée », il était devenu indispensable de corriger mes préjugés contre ces bonbons fruités. Je pensais aussi qu’il serait peut-être temps de revoir mes idées sur une pâte de fruit chinoise très similaire faite de cenelle, le fruit d’aubépine.
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Les cenelles, un fruit sauvage qui ressemble aux pommes, de taille légèrement plus grosse que les cerises.
Souvenir d'enfance de nombreux chinois de ma génération, la pâte de cenelle est bien connue sous forme d’une pâte fine qui s'enroule sur elle-même et d’une taille d’un demi-grissini italien. Elle porte le nom de guo dan pi (果丹皮). Tout ce dont je me souviens de ce célèbre snack vient simplement de ma cousine qui, sur une photo, tenait un guo dan pi, comme si c’était sa baguette magique. En revanche, rien de notable entre moi et les bâtonnets du fruit sauvage.
La pâte existe aussi sous forme de carrés à la française ou de disques fins que l'on appelle flocons. Mais encore, je n'ai aucune trace de souvenir de moi en mangeant. Ou plus exactement, je me revois dérouler le rouleau parce que c’était amusant. Là encore, quel goût avait cette pâte ? L’ai-je appréciée ? Aucune idée.
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Pâtes de cenelle pour accompagner un thé fruité
Puis j'ai décidé d'aller faire un tour dans le quartier chinois. Devant les stands des supermarchés, j'ai méticuleusement scruté la liste des ingrédients et n'ai choisi que ceux à base de deux ingrédients : cenelle (plus de 50%) et sucre, dans le respect des traditions. A souligner ici qu’aucun épaississant n’est nécessaire car le fruit d’aubépine lui-même est naturellement riche en pectine, la pâte se forme donc facilement après cuisson, une fois refroidie. Je voulais une pâte la plus authentique possible pour retrouver son vrai goût, qui serait alors la seule possibilité de réveiller mon souvenir.
Enfin, ma recherche intrigante du temps perdu a été accomplie. La pâte souple avait une douceur acidulée avec une mâche intéressante, tout comme la pâte de fruit française. J'ai peut-être commencé à apprécier ce fruit ou ce bonbon, mais seulement tardivement, bien après mon enfance, via un détour chez un meilleur ouvrier de France.
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