top of page

Bette comme chou

« C’est du chinois », une expression française que j'aime tant pour décrire quelque chose de difficile à comprendre. Il est en effet réservé à un cercle d’initiés pour entendre correctement « ma » qui, avec des tons différents, veut dire au moins maman, insensible, cheval et insulte. Nommer les légumes verts chinois est aussi digne de l’expression. Il y en a beaucoup dans n’importe quel supermarché asiatique qui ne sont pas communs à nos salades. Un exemple notable est le chou chinois et le chou chinois – ce qu’on appelle si banalement chou chinois désigne en effet deux variétés de chou. Chacune d’elles a ses propres caractéristiques en termes de goût et de texture. Faire la différence entre les deux est en revanche « bette » comme chou.


L'une est de grande taille, de forme cylindrique, très compacte avec des feuilles enveloppées les unes contre les autres de couleur vert clair voire jaune. Celle-ci est appelée chou napa ou nappa (en japonais), l’ingrédient principal du kimchi coréen.


deux choux chinois de type napa qi dégorgent de fraîcheur. Feuilles de couleur vert jaune, pétioles bien blanches

Chou chinois de type napa, photo crédit A. Milne sur Unsplash


L’autre a des feuilles vertes plus foncées émanant des pétioles de couleur jade. Son nom occidental provient de la prononciation en cantonais – pak choï. Ses feuilles, lâchement empaquetées et légèrement incurvées, lui donnent une forme élancée ressemblant à la bette (ou blette) – un légume vert méditerranéen.


Pak choi, avec des pétioles de couleur de jade et des feuilles vert foncé

Pak choï, photo crédit Jasmine Waheed sur Unsplash


La première fois que j’ai vu des bettes au marché dans la région bordelaise, je croyais qu’il s’agissait du pak choï géant. Après tout, si les Français nomment avec humour une variété très longue de haricot vert asiatique haricot kilomètre, pourquoi le pak choï ne pas avoir sa version kilogramme ? Il s’avère que je mélangeais des choux et des carottes. Le pak choï appartient à une famille de moutarde alors que la bette est très proche de la betterave, d’où pourquoi il est plus judicieux de la nommer bette au lieu de blette.


Sur un champ, des bettes au soleil, les côtes sont bien blanches et les feuilles vert luisant, ressemblant à du pak choï.

Bette, photo crédit Jacqueline Macou sur Pixabay


Cela étant dit, la bette et le chou pak choï ne sont pas si différents que les haricots verts et les haricots kilomètre dans la cuisine. Ils possèdent des propriétés culinaires très similaires, tous les deux bons pour la santé et faciles à cuisiner. C’est bette comme chou.


Le pak choï est un légume vert très populaire dans le sud de la Chine où j’ai grandi avec. Ma mère le cuisinait au wok avec de l’ail avec un peu de matière grasse. Une façon très simple qui permet de faire ressortir la tendresse et la sucrosité du chou, d’autant plus qu’il s’agit de jeunes pousses.


Elle en faisait aussi de la farce pour ravioli ou wonton. D’abord coupé en fines lamelles, puis asséché par pression afin d’éviter une farce trop liquide, enfin mélangé avec du champignon shitake émincé et de la chair à saucisse. J’ai toujours préféré l’ajout du chou qui apporte une légèreté et une fraîcheur par rapport à une farce de pure viande.


Sur un plan de travail, se trouvent du pak choï, du gingembre, de l'ail et de la chair à saucisse, de quoi préparer une bonne farce de ravioli !

Photo crédit Eva Bronzini on Pexels


Un autre plat incontournable de ma mère est une soupe de pak choï avec des tomates et des œufs. Il faut dire qu’en Chine, bien manger est aussi important qu’en France. Mais au lieu de faire une entrée, un plat et un dessert, la règle tacite voudrait que les familles chinoises préparent une soupe en plus de plats étant au même nombre que les personnes autour de la table, peu importe le temps que ça prendrait. Si on est trois à manger, un repas correct est alors composé de trois plats et une soupe. Cette soupe de pak choï « bette » comme chou devient donc un choix naturel au menu. Une fois que les morceaux de tomates soient bien cuits (quand leur chair donne de la consistance à l’eau), ma mère y ajoutait des feuilles de pak choï en commençant par les plus grosses (car les petites sont plus tendres et plus faciles à cuir), puis elle laissait le tout mijoter pendant une ou deux minutes. Après l’avoir assaisonné avec du sel et de la sauce de soja, la soupe est presque terminée. Elle éteignait le feu, y versait doucement des œufs battus en faisant un cercle jusqu’à ce que les œufs se figent et forment des rubans jaunes et lisses. La dernière étape consistait à parsemer de fines rondelles de ciboulette et quelques gouttes d’huile de sésame. Une soupe savoureuse et colorée était alors prête !


La bette est comme le chou, versatile, elle peut se cuisiner de façon similaire. Une fois les filaments retirées (pareil que sur la surface des rhubarbes, un cousin de la famille), la cuisson des feuilles nécessiterait quelques minutes, soit dans un peu d’eau, soit à vapeur, soit poêlées. Les cardes (c’est-à-dire les pétioles) en demandent légèrement plus de temps de cuisson comme pour le pak choï. En faire un gratin est une idée commune mais délicieuse et réconfortante en occident. La douceur de légume va bien avec le crémeux du mélange des œufs et du lait ou d’une simple béchamel. Le fromage râpé forme une couche supérieure, une fois grillé au four, apporte du relief en texture et renforce le goût du plat.


Des feuilles de bette avec pétioles colorées, blanc, jaune et violet presque fuschia. D'où son nom anglosaxon - bette arc-en-ciel.

Bette arc-en-ciel, photo crédit Heather Barnes sur Unsplash


De la bette sautée, un peu à la chinoise, constitue une alternative chaleureuse à une salade verte. Pour ce faire, il suffit de poêler avec un peu d’huile les côtes d’abord, puis les feuilles, et laisser cuire le tout avec une pointe d’eau avant de l’assaisonner.


Etant un légume méditerranéen, la bette est également l’ingrédient principal de quelques recettes typiques du sud. La troucha de Nice en est une. Il s’agit d’une omelette avec des feuilles de bette essorées (autrement l’omelette serait dégoulinante, une technique comme pour faire de la farce de ravioli de ma mère), du lardon et du parmesan. Loin d’être sophistiqué, la preuve est que les choses simples peuvent être délicieuses, tout comme le pak choï.


En revanche, leur style simple voire rustique n’est en aucun cas un obstacle à un dressage élégant de plat. Les pétioles « arc-en-ciel » de la bette allant de jaune à rouge ravivent la table. Le pak choï, quant à lui, plus petit mais graphique, s’apprête à faire une belle assiette. J’en prends souvent une ou deux feuilles rapidement pochées dans l’eau bouillante, et j’y dépose délicatement des noix de coquille Saint-Jacques poêlées accompagnées d’une sauce déglacée. Ça crée toujours un effet waouh, mais croyez-moi, c’est vraiment bette comme chou.

 

Un peu de saveur savante


La bette appartient à l’espèce beta vulgaris, tout comme la betterave. Elles font partie de la famille amaranthaceae où se trouvent également l’épinard, le quinoa et la salicorne. En raison de leur lien généalogique, la bette est également appelée en anglais betterave argenté (silver beet), épinard perpétuel (perpetual spinach), épinard betterave (beet spinach) et encore feuille de betterave (leaf beet).


Le pak choï appartient à l’espèce brassica rapa, tout comme l’autre chou chinois qui est la base du kimchi, mais aussi le navet. Ils font partie de la famille brassicaceae, où se trouvent aussi les crucifères tels que le chou vert frisé, le brocoli, le colza et le wasabi.

 

Et un dessert léger ?


La bette est un légume méditerranéen comme dit précédemment. Bien connue de Grecs antiques, elle a pour origine qui remonte à Sicile, en tant que version sauvage de betterave. Mais elle a également un nom « neutre », il s’agit de Swiss chard, très communément utilisé dans les pays anglosaxons. En fin de compte, elle n’a pas beaucoup à voir avec les Alpes, ayant plutôt des origines méridionales. La neutralité helvétique aurait été donnée à la bette pour différencier des variétés d’épinard français au 19ème siècle.

La bette fut introduite en Chine aux alentours du 5ème siècle. Dans un pays où une large gamme de légumes verts est consommée, sa place dans le régime alimentaire des Chinois demeure marginale. Elle est cependant connue pour nourrir des animaux domestiques, d’où le nom 猪婆菜 (légume de l’éleveur de cochon) employé dans le sud du pays.

1 Comment


Guest
Jan 04, 2023

Bravo et merci Bei pour ces articles savoureux et qui donnent immédiatement de l'appétit!😀

Like
bottom of page